La parole est aux speakers : Stéphane Bortzmeyer

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Jusqu’au Forum PHP 2022, retrouvez nos interviews de speakers pour mieux comprendre leur parcours et le sujet qu’ils ou elles aborderont lors de leur conférence !

La conférence

Internet et la géopolitique

On pense encore parfois à l'Internet comme une sorte de territoire séparé, flottant au-dessus des passions humaines et des affrontements entre nations. Mais ce n'est évidemment pas le cas : les ordinateurs, les câbles et surtout les humains qui s'en occupent vivent dans un espace physique qui est toujours structuré par les situations nationales. La guerre en Ukraine provoquée par l'agression russe a une nouvelle fois illustré, hélas, ce point. D'autres affrontements, plus mesurés, ont souvent eu lieu. On va donc parler des liens entre l'Internet et les États-nations.

Ballroom GHJKLM - Katherine Johnson
14/10/2022
17:20-18:00

Tu es l’auteur de plusieurs RFCs liées à la vie privée et au protocole DNS. Peux-tu nous parler de cette expérience ?

Le projet « DNS et vie privée » a démarré juste après les révélations Snowden et ce n’est évidemment pas une coïncidence. Grâce à ces révélations, le projet n’a pas eu à faire face à des contestations du genre « on n’a rien à cacher » ou « la vie privée n’est pas si menacée que cela » et a pu avancer vite. Alors que certains projets à l’IETF (Internet Engineering Task Force, l’organisme qui normalise les protocoles de l’Internet) prennent de nombreuses années, et sont parfois frustrants pour les participant.e.s, le projet « DNS et vie privée » est allé assez vite, dans une ambiance de consensus. Plusieurs RFC ont ainsi été produits sans douleur, décrivant le problème, et normalisant deux séries de solutions (minimiser les données et chiffrer les communications).

Tu es ingénieur à l’AFNIC, quel est ton quotidien et quels sont les principaux rôles et challenges techniques dans une telle organisation ?

Un registre de noms de domaines fait beaucoup de choses, trop pour tenir dans un court interview. Rien que sur la partie technique, il faut développer le logiciel d’enregistrement, le maintenir, et gérer les serveurs. Cette dernière tâche est d’autant plus difficile que l’Internet est très agité et que les services doivent être robustes, notamment face aux attaques par déni de service. Et le DNS (Domain Name System) est absolument critique, il ne doit pas s’arrêter même une milli-seconde. Pour M. ou Mme Toutlemonde, sans le DNS, c’est comme s’il n’y avait pas d’Internet. Pour une vision plus détaillée du rôle technique du registre, je vous renvoie à cet article. Mais rappelez-vous qu’il n’y a pas que la technique, un registre national est également un point chaud de la politique, et il doit faire face à de nombreuses revendications, parfois contradictoires.

Tu es un grand défenseur de la vie privée et de la liberté sur Internet. Que penses-tu de la loi DSA de l’Union Européenne ?

Il y a beaucoup de choses dans le DSA (Digital Services Act). Le point qui me semble le plus important est un point absent : le règlement considère comme acquise la domination des GAFA sur le Web et ne contient rien qui irait dans le sens de la décentralisation des services. Au contraire, il veut se servir de cette domination d’une poignée de grands acteurs, en général étatsuniens, pour leur sous-traiter des activités régaliennes, comme la censure. Une meilleure approche serait d’encourager la décentralisation, autour de services comme le fédivers (reposant sur le protocole ActivityPub).

Une conférence présentée par

Stéphane BORTZMEYER
Stéphane BORTZMEYER
Stéphane Bortzmeyer est ingénieur à l'Afnic, le registre des noms de domaines en .fr, et travaille entre autre sur le DNS (Domain Name System). Il est l'auteur du livre « Cyberstructure » (C&F Éditions), qui porte sur les relations entre l'infrastructure de l'Internet et la politique.

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