[:fr]La parole est aux speakers : Marie-Cécile Godwin et Thomas di Luccio[:]

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[:fr]Jusqu’au Forum PHP 2019, retrouvez nos interviews de speakers pour mieux comprendre leur parcours et le sujet qu’ils ou elles aborderont lors de leur conférence !

La conférence

Concevoir pour des futurs souhaitables

2019 sera la dernière année qui ressemblera aux précédentes. Nous somme entré·es dans l'ère de l'Anthropocène, où nous humains sommes devenus une force géologique capable de modifier la planète, le climat et les dynamiques du vivant, et ce à nos dépens.

Le design et la tech ont largement participé à l'exploitation des ressources naturelles et à l’accélération des cycles de production et de consommation. Nous actrices et acteurs des nouvelles technologies avons bien souvent perdu l’ancrage à la dimension systémique et politique de notre action. Nous avons malgré nous contribué à façonner ce monde prêt à s'effondrer... Il ne nous reste que peu de temps, c'est pourquoi nous vous proposons un moment de réflexion et d'introspection, mêlé à des voyages dans des temps futurs pour corriger nos biais négatifs sur le monde qui nous entoure et explorer ce que nous pouvons faire de mieux dès aujourd'hui.

Nous vous proposons une invitation puissante à nous rassembler et nous questionner sur comment nous sculptons notre quotidien comme notre futur à travers nos métiers, au sein de notre industrie. Loin de nous l'idée de prôner la fin de la tech et de l'innovation : nous avons encore plein de cordes technologiques à notre arc que nous pouvons mobiliser différemment pour tracer les nouvelles règles d'un monde prospère, digne, résilient et circulaire.

Cette intervention est le résultat de deux ans de réflexion et de recherches dont nous vous présenterons les premiers résultats pour agir dès maintenant et faire muter nos pratiques autant que nos paradigmes : des initiatives déjà existantes qui prouvent qu'on peut faire les choses autrement, des principes et heuristiques qui permettent de concevoir les bons outils pour des futurs différents, de l'inspiration pour faire muter profondément nos postures de conceptrices et concepteurs, etc.

Katherine Johnson
24/10/2019
17:10-17:40

En tant que développeurs et développeuses, quel est le plus grand changement que nous pouvons réaliser afin d’améliorer le futur ?

Thomas : Avant de vouloir améliorer le futur, peut-être faut-il tenter de comprendre le présent, l’existant. Porter un regard lucide sur celui-ci, et surtout sur l’impact que chacun•e d’entre nous a sur celui-ci pourrait être une première étape. Qu’est-ce que nous apportons au monde ? Quelles sont les conséquences de mon action sur celui-ci ? Quelles externalités je laisse derrière moi, à la charge de quelqu’un d’autre ou, pire encore, de personne. Les développeuses et développeurs, comme toutes celles et ceux travaillant dans nos industries, sont très souvent victime d’une fascination pour la technique et la technologie. Cette fascination ne se limite pas à un attrait très fort et aboutit bien souvent à un aveuglement. On en vient à confondre le progrès, comme amélioration de la vie des humains, avec une des modalités pour l’atteindre, la technologie. Les technologies que nous employons aujourd’hui sont très largement insoutenables et nous commençons à en payer le prix. Les développeurs et développeuses ont la capacité de créer des nouveaux outils, de nouvelles technologies qui puissent permettre de maintenir le niveau de progrès humain que nous connaissons, mais en respectant pleinement les limites planétaires.

Marie-Cécile : Au fil de nos recherches et de nos lectures, nous sommes de plus en plus convaincus qu’il n’existe pas UN changement plus efficace que les autres, mais une infinité d’actions, de remises en question, de réorientation de nos outils qui ont toutes leur importance à petite échelle. Améliorer notre futur est une tâche éminemment complexe et il serait malhonnête de faire croire qu’il y existe des réponses simples. C’est une belle réponse de normand, nous en avons conscience ! Par contre, il est vrai qu’une des pistes que nous proposons, c’est de commencer par le domaine que l’on a à notre portée et sur lequel nous avons le plus d’influence : nous-mêmes. Le premier changement vient de l’intérieur, nous invitons donc tout le monde à une saine introspection, notamment sur nos métiers et nos pratiques ! Dans quel imaginaire s’inscrivent-elles, quels systèmes servent-elles, quelles illusions continuons-nous d’alimenter à travers elles ? Qu’avons-nous à en tirer en tant que personnes ? Quels aspects toxiques contribuons-nous à maintenir malgré nous ? La liste est infinie 🙂

Est-ce que selon vous, la technologie est la meilleure piste pour contrer les effets du réchauffement climatique ?

La technologie « moderne » et numérique pourrait être une bonne piste, si elle n’était pas sujette aux limites planétaires qui sont les nôtres. Derrière la tech, se « cachent » des câbles, des métaux précieux, un processus de fabrication complexe qui nécessite de l’énergie, et davantage d’énergie par la suite pour alimenter les systèmes qui en découlent. De toutes les technologies, celle qui semble la meilleure piste pour lutter contre le réchauffement climatique, c’est la low-tech ! À situation complexe, aucune réponse simple. L’une des premières pistes à favoriser serait celle de la connaissance objective de la situation dans laquelle nous nous trouvons et de ses conséquences sur nos vies à toutes et à tous dans les dix ou vingt ans à venir. Dix ans, c’est demain ! Si chacune et chacun d’entre nous dans la tech consacrait le temps nécessaire à la lecture des derniers rapports du GIEC par exemple, nous aurions une base de discussion commune sur laquelle débattre de notre situation. De ce point de départ, nous pourrions définir ensemble un projet de société qui s’inscrirait dans les limites planétaires qui sont les nôtres et qui, elles, n’ont jamais été et ne seront jamais à débattre. Ensuite, nous pourrions arbitrer quelle technologies nous sont indispensables, et comment les mettre en œuvre ou les préserver.

Vous intervenez sur une variété de thèmes tous fortement engagés : design, conception UX, inclusivité, logiciels libres, management moderne… Pouvez-vous nous en dire plus sur vos parcours et sur comment vous avez développé cet intérêt pour ces sujets ?

Marie-Cécile : la pensée design et la conception m’ont toujours passionnée. C’est à force d’expériences personnelles plus ou moins agréables (comme deux burn-out), de lectures et de curiosité que j’ai tissé des liens entre la conception et tout ce qui s’y rapporte. Rien n’est simple dans notre monde, tout est lié, tout est système et interdépendance ! On ne peut pas faire du design « dans le vide » : on conçoit forcément pour des personnes, en mobilisant et en utilisant des ressources, en affectant la vie d’autres humain·es et non humain·es, sous les ordres d’un commanditaire et d’un manager, au sein d’un système économique, social et culturel… Les responsabilités du designer sont immenses pour sortir le design du « hors-sol » dans lequel nous le pratiquons : comme le dit Alan Cooper, créateur du design d’interaction, « quand le camion poubelle emporte mes ordures ailleurs, cet ailleurs n’existe pas sur Terre », c’est l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt le camion qui cache le site d’enfouissement saturé. J’ai développé avec les années de pratique une radicalité personnelle qui me permet d’aborder mon métier sous un tout autre angle.

Thomas : Je suis suis sorti diplômé d’une école d’ingénieur (IFMA – Institut Français de Mécanique Avancée) avec un regard ambivalent sur les métiers de l’ingénierie. Je ne ressens aucune fascination pour la technique en tant que telle. Je m’interroge sur ce qu’elle peut apporter aux humains et au monde. Ensuite, j’ai fait un MBA universitaire et j’ai ressenti le même décalage avec mes pairs. Je n’ai aucun intérêt dans la quête de performance des organisations en tant que telle. Ces dissonances cognitives, entre autres, m’ont conduit vers le design. Pour moi, le rôle du designer est d’apporter de la beauté au monde. Cette beauté peut-être sensible, plastique mais aussi une élégance ou une élévation spirituelle. L’un dans l’autre, j’avance vers une pratique holistique du design. Je ne cherche pas à me limiter à de la conception d’interface numérique ou d’objets industriels. Je cherche à savoir comment nous pouvons concevoir des organisations, des services ou des collectivités qui puissent rendre ses usagers plus libres, plus dignes et plus forts. Pour l’instant, nous laissons derrière nous des organisations essentiellement aliénantes et des montagnes de produits liés à une expérience hédoniste et égoïstes, obsolètes dès l’achat. Ce n’est pas qu’insatisfaisant. C’est surtout insoutenable. C’est pour cela qu’il nous faut réinventer la pratique du design.

Pouvez-vous nous présenter brièvement le collectif Common Future(s) que vous avez créé ?

Common Future(s) est un collectif pluridisciplinaire ouvert aux praticiennes et praticiens des métiers de la conception. Notre but est d’offrir un espace de partage et de réflexion sur nos métiers dont les responsabilités sont immenses face aux enjeux que nous impose l’anthropocène. Nous avons co-fondé ce groupe durant l’été 2018 et nous comptons plus de 70 personnes qui participent de près ou de loin à nos activités, toutes disciplines confondues : design, recherche académique, développement, ingénierie, sciences humaines, actrices et acteurs des communs, etc. Pour l’instant, nous proposons des journées de rencontre, une veille technique, des outils et des lectures. Notre grand projet du moment est la finalisation de principes de design à l’ère de l’anthropocène, pour ré-ancrer le design dans un sol réel et en faire un outil de changement systémique, sociétal, économique et philosophique.

Une conférence présentée par

Marie-Cécile GODWIN
Marie-Cécile GODWIN
Designer systémique et chercheuse en usages (UX), Marie-Cécile milite pour un design résilient et conscient des enjeux de l'Anthropocène au sein du collectif Common Future(s).
Thomas DI LUCCIO
Thomas DI LUCCIO
Designer et militant de l’éducation populaire, il accompagne la conception de dispositifs et systèmes résilients et encapacitateurs. Il croit en un design joyeux, libérateur et émancipateur qui donne le moyen aux citoyen•nes de se construire un futur désirable. Il a créé et co-anime le chapitre local de IxDA Lyon et le think tank Common Future(s).

Autres interviews

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